Affichage des articles dont le libellé est Roi prédateur. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Roi prédateur. Afficher tous les articles

dimanche 9 décembre 2012

Le quatrième thé de Tfarah


Juste au dessus de sa tente, symboliquement, le soleil rendait les armes. A distance je commençais les salutations d'usage. De l’intérieur, sa voix répondit aussitôt, nuancée d'une intonation signifiant qu'elle m'avait reconnu.
Sans lui avoir jamais serré ou effleuré la main, nous nous saluâmes avec cette réserve complice qui valait toutes les embrassades.
Il est des êtres dont la capacité de retenue suggère bien plus que toutes les formes d’expression. Tfarah est de ceux là.
Je l’ai trouvée amaigrie. L’opération une fois de plus était reportée, ses résultats d’examens n’étant pas bons. 

Premier enfant perdu. Santé perdue. Travail perdu. Pays perdu. Tfarah a tout perdu. Tout ce qui représentait l’avenir, elle l’a un court instant bercé, soigné, enseigné, visité,…, si peu mais si intensément espéré.
Seule dans sa tente où sont juste empilés quelques couvertures et quelques livres, elle attend, malade, le retour de son mari, travaillant toute la semaine dans un autre camp. Elle s’excuse et sort quelques minutes pour préparer les braises pour le thé, ramener quelques dattes et une petite cruche de gouffia, un peu de farine de maïs difficilement diluée dans l’eau.
Elle s’intéresse à ma famille et à mes amis, demande des nouvelles de chacun, reprend la conversation où nous l’avions laissée, il y a quelques mois lors de ma dernière visite, s’excuse de n’avoir pas plus progressé en Français, faute de pratique.

Je n’ai jamais vu plaidoyer plus convaincant que cet oubli de soi, que son absence de revendication, que cette attitude totalement tournée vers le bien être des autres. Cette absence de plainte, cette sérénité des justes emplissait l’espace de cette grande tente vide, puis faisait peu à peu place au silence assourdissant des innocents oubliés dans les camps de l’exil, d’un peuple encore colonisé, à l’injustice d’emprisonnements sans jugement dans les geôles d’un roi prédateur.
Sans un seul mot, la réalité se matérialisait dans l’attitude de cette jeune femme digne à qui on avait tout enlevé. Une réalité évidente et accusatrice qui citait tout un peuple à témoin.
 Jamais le pillage des ressources du Sahara Occidental ne m’est apparu aussi clairement que dans le dénuement de la tente de Tfarah, que dans les pertes successives qui prenaient peu à peu sa vie.
Imaginer un roi premier banquier, premier entrepreneur en bâtiments, dominant l’agro-alimentaire et la grande distribution, l’immobilier, l’énergie et la communication de son pays, s’adjugeant le Droit d’emprisonner ou de libérer selon son libre arbitre,  quintuplant en douze ans sa fortune personnelle, soutenu par la bienveillance douteuse de la France, de l’Espagne, des Etats-Unis et d’Israël, envers et contre les résolutions d’une ONU rendue impuissante par ses règles et de la Cour Internationale de Justice (reconnaissant entre autres l’application de la Résolution 1514 de Décolonisation du Sahara Occidental), imaginer ce hold-up et ses complicités devenait chose possible dans cette tente vide.

Il fallait ce niveau de dépouillement pour oser penser et imaginer le niveau d’injustice vécue par cette jeune femme née dans les camps pour y faire le deuil d’une vie normale. Comme il faut l’isolement en cellule ou des conditions inhumaines partagées par Naâma et ses compagnons depuis plus de deux ans pour imaginer et dénoncer, au-delà du vol des biens, celui du plus grand des biens, le vol de liberté.
La voix calme de Tfarah accueillait le silence et le froid de  la nuit tombante, venus partager le thé. Elle mettait tout son art à tout juste maintenir les braises permettant de prolonger cet instant, comme on peut mettre ses dernières forces dans une fin suave annoncée, celle du troisième thé.
Elle prononça alors ce que sa vie, en cet instant, secrètement commandait ; ce qu’il lui restait encore de plus précieux à offrir : « Prenons donc un quatrième thé, celui de l’Espérance ».

Jean-François Debargue
Décembre 2012, camp de réfugiés d’El Ayoun

Publié par APSO avec l’autorisation de l’auteur, Photo APSO

jeudi 8 novembre 2012

Depuis Gdaym Izik, le Maroc triche toujours plus


Petit tour d'horizon pour le deuxième anniversaire, ce 8 novembre 2012, de la destruction de la manifestation populaire et pacifique de Gdaym Izik au Sahara Occidental occupé.
Plus de 20 000 Sahraouis étaient sortis de la ville pour protester contre l'occupation de leur terre par le Maroc et son cortège hélas banal de tentatives multiples pour les détruire, par la marginalisation et les discriminations, la violence et les assassinats. Le village de tentes s'était organisé démocratiquement, les Sahraouis goûtaient pour certain pour la première fois à la sérénité de pouvoir se dire Sahraoui sans avoir peur. C'était le premier soulèvement de cette envergure des pays arabes contre la dictature, le despotisme. Les chercheurs l’ont dit, et les pays arabes ne l'ont pas ignoré, ils ont pris feu à la suite.

Depuis ce mois de manifestation en 2010, les rafles, arrestations arbitraires, meurtres sur les Sahraouis se sont multipliés au Sahara Occidental, des oeuvres du Maroc.
Les 23 civils sahraouis, défenseurs des droits du peuple, gestionnaires du campement, journalistes, sont en prison militaire depuis bientôt 2 ans, sans inculpation ni jugement, en toute illégalité.
Les casques bleus de l'ONU présents sur place n'ont toujours pas l'ordre de protéger les Sahraouis, ils assistent comme nonchalant aux attaques féroces sur les manifestations pacifiques presque quotidiennes...
M. Christopher Ross, envoyé spécial de l'ONU, est venu pour la première fois à El Aaiun, la semaine dernière, faire le bilan des 5 années de négociations qu'il a conduites.
Et pendant qu'il rencontrait notables ou associations à El Aaiun, les policiers chargeaient, et blessaient les manifestant(e)s et les passant(e)s, saccageait les maisons des militants.
De sa visite avec le roi, qui ordonne la répression, et de son discours, adressé aux peuples marocains et sahraouis, il reste une vidéo visiblement censurée, dans laquelle l'essentiel est tronqué. Une nouvelle mise devant le fait accompli, nouvelle preuve de la partialité de la presse marocaine. Un acte qui a marqué en quelques minutes, quand le démenti et rectificatif prendra des semaines et sera probablement escamoté.

Ce jour de commémoration, les sahraouis pansent leurs coeurs au souvenir des disparus, et leurs plaies pour les coups reçus aujourd'hui quand ils ont voulu crier leur fierté d'être Sahraouis.
À El Aaiun, à Guelmim, les Sahraouis ont manifesté et la police marocaine a chargé. Beaucoup de femmes, de vieillards, des enfants sont blessés, ce sont des proies faciles. Un journaliste a été attrapé, frappé, insulté et laissé salement blessé à l'extérieur de la ville selon une méthode habituelle des policiers marocains.
Les Européens venus en visite ont été expulsés hier d'El Aaiun, et certains n'ont même pas pu approcher de la ville.  4 politiciens norvégiens voulaient entendre les Sahraouis sur la question de la pêche, et une quinzaine d'espagnols voulaient être présents sur place pour ce jour anniversaire.

L'impunité et l'arrogance du gouvernement marocain est flagrante. Le programme malhonnêteté au Sahara Occidental est en route, sans que rien ne le fasse dévier. Ross désavoué par le Maroc, soutenu par la communauté internationale dans sa fonction, a accompli ce qu'il avait annoncé, venir sur place. Un avertissement au Maroc ? peu importe. Le programme a été retardé de 6 mois.
Les actions du Maroc en sont à un point de provocation qui dépasse la compréhension, sauf - à suivre les estimations de WSRW-, si l'on considère les 200 millions de dollars gagnés sur les phosphates volés à la terre sahraouie par le colonisateur pour la même période de 6 mois. Combien de millions de dollars pour la pêche, le sable, le sel, les fruits et légumes arrivés tout droit dans les poches du roi, de ses généraux et de quelques complices étrangers ?

La prochaine visite de Ross en France pourrait peut-être permettre à notre pays de redorer son blason, si le chef de l'état choisissait de respecter le droit international et ses promesses électorales. Du changement dans la France Afrique ?
La question des millions tirés des ressources naturelles est aussi une question de droit international. Ce vol est illégal, comme la violence et la déportation de colons. L’ONU, L’Union Africaine, l’Europe l’ont dit, les actes doivent suivre les paroles. À l’heure où la Suède s’apprête à reconnaître la République Sahraouie, il est plus que temps.

APSO, le 8 novembre 2012

mercredi 28 mars 2012

Légumes du Sahara vendus en France : illégaux, immoraux

Les légumes qui poussent au Sahara Occidental ne peuvent être étiquetés Maroc, de même que les légumes qui poussent en Palestine ne peuvent être étiquetés Israël...

Et pourtant, se trouvent partout en France dans nos épiceries et supermarchés des tomates, courgettes et melons des producteurs Idyl, Azura, Les Domaines, affichés comme venant du Maroc... (voir quelques photos ici)
Or, ces producteurs, dont on trouve les produits sous ces noms, mais aussi "étoiles du sud", Tomates cerises Carrefour... possèdent des immenses surfaces de serres à Dakhla au Sahara Occidental.
Donc, les fruits et légumes de ces entreprises productrices étiquetés Maroc, le sont de façon illégale, puisque tout ou partie des produits viennent du Sahara Occidental.

C'est là une question de logique mais aussi de droit international. Comme la Palestine, le Sahara Occidental est une colonie.
Le droit international, - et sur cette question particulière l’avis du conseiller juridique Hans Corel au Conseil de Sécurité en 2002, précisé en 2008 - dit clairement que les ressources naturelles, ce qui pousse sur la terre d'un Territoire Non Autonome, une colonie, peuvent être exploités avec l’autorisation des peuples originaires, et si cela leur bénéficie... Et notamment pour aller dans le sens inéluctable de la décolonisation, du choix du peuple à décider librement de son avenir.

Double condition qui n’est pas satisfaite dans le cas des productions de Dakhla. Les entreprises citées sont implantées et produisent sans l'accord des Sahraouis qui n’en bénéficient à aucun titre, ni directement ni indirectement. À l’opposé même, les profits faits par le Roi du Maroc, par exemple, dans cette économie, (lire « le roi prédateur » Catherine Graciet, Eric Laurent) ne l’encouragent pas à conduire son pays vers le respect du droit international, et à mettre fin à la colonisation violente de son voisin.

Les Sahraouis en territoires occupés dénoncent le pillage de leur terre, l’épuisement de l’eau fossile, le ballet des camions qui emportent les productions… Les sahraouis qui survivent de l’aide internationale depuis 37 ans dans les campements de réfugiés ne mangent que très peu de légumes frais et ne peuvent agréer ce trafic qui collabore à les priver de leur terre. Les Sahraouis qui ont dû fuir les territoires occupés pour leur sécurité parce qu’ils revendiquent leur identité affirment aussi leur désaccord par des actes militants de dénonciation. (voir des photos ici)

Un dossier très documenté signé WSRW et EMMAUS Stockholm déploie la problématique, situe les serres, leurs propriétaires, les trajets effectués par les légumes, directement de Dakhla vers Perpignan ou Château Renard.

Depuis décembre 2011, les entreprises et groupes Carrefour, Auchan, Intermarché, ED/Dia, Aldi, Casino, Leclerc, Simply ont été questionnés par APSO sur la quantité de légumes vendus par eux et provenant des territoires occupés du Sahara Occidental. Mais aussi sur leur action éthique en connaissance des faits, puisque lorsqu’ils revendent ils se mettent en position de soutenir une colonisation.

Seul Carrefour a répondu en janvier par l’affirmation de sa neutralité, laissant espérer un retrait rapide des produits concernés des ventes. Un courrier demandant l’échéance du retrait est resté sans réponse à ce jour et d’évidence, les produits Idyl, Azira, Les domaines sont toujours dans les supermarchés, et toujours étiquetés Maroc.

Nous préférerions grandement que ces tomates courgettes, melons… malhonnêtes qui font des milliers de kilomètres, vendus moins chers que les fruits et légumes cultivés ici ou en Espagne soient interdits comme ils le sont en Norvège.
Parce que le Maroc ne respecte ni quota, ni éthique d’étiquette, et que le deal met en péril les petits producteurs européens.

Si les revendeurs s’affichent éthiques et continuent à vendre ces produits, qu’ils respectent ce beau mot, et qualifie plutôt leur pratique d’hypocrite.

APSO, 28 mars 2012