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samedi 10 octobre 2020

Le PAM, prix Nobel de la Paix 2020 - Quelle paix ?

Bravo pour le Programme Alimentaire Mondial, lorsqu’il est d’urgence, pour sauver des vies, dans les premiers temps d’une catastrophe ou d’un conflit. 

Mais honte à ce programme, l’un des nombreux « parapluie » déployé par l’ONU, lorsqu’il est maintenu bien au-delà de l’urgence parce que l’ONU est incapable, dans ses missions locales de trouver une solution aux conflits. 

Des conflits ainsi « gelés » par l’immobilisme statutaire de l’ONU naît alors : « Le conflit d’intérêt ». Le PAM conçu pour l’urgence se met donc à satisfaire des besoins durables et génère à moyen et long terme, carences, déséquilibres, fragilités. C’est le cas dans les camps Sahraouis depuis plusieurs décennies. Peu à peu l’outil au départ humanitaire et altruiste devient sa propre finalité, égoïste et entrepreneuriale. Les charges de fonctionnement des « OGs » issues de l’ONU (Unesco pour la culture, l’Unicef pour l’enfance, Hcr pour les réfugiés, l’OMS pour la santé, la FAO pour l’alimentation et l’agriculture, … 17 en tout) sont parmi les plus importantes en proportion des ONGs. L’ONU n’a plus intérêt à ce que le problème disparaisse. 

Une mission comme la MINURSO (Mission des Nations Unies pour le Référendum au Sahara Occidental) à laquelle chaque année depuis 1991 (30 ans en mars 2021 !) il est demandé de mettre en place un référendum d’autodétermination dans les 9 mois à venir échoue donc à accoucher chaque année depuis 3 décennies, pour le plus grand profit du PAM, du HCR, de l’Unicef, de l’OMS… Que deviendrait l’industrie du contre-poison sans le maintien du poison ? 

Aujourd’hui on ne meurt pas de faim dans les camps. On y meurt des conséquences du PAM (les principales maladies graves dans les camps sahraouis ont une origine alimentaire). On y meurt d’ennui et de désœuvrement, conséquence des échecs (volontairement ?) réitérés de la Minurso. 

 Le monde n’a pas besoin, par procuration, d’organismes internationaux déshumanisés pour incarner le prix Nobel. 

Il a besoin de se reconnaitre dans des personnes dans lesquelles s’identifier pour devenir meilleur. 

Jean-François Debargue, Le 9 octobre 2020  

Ps : dans le même temps en France, le préfet de Calais interdit aux associations de distribuer de la nourriture aux migrants qui ont faim. Nul doute que nos autorités vont féliciter le PAM. Cherchez l'erreur...

samedi 16 juin 2018

JfD. Négocier avec un monde absent & Ordonner au soleil de se coucher


Il aurait été plus simple et rassurant de classer cet homme comme « simple d’esprit » dans tout autre contexte. Mais j’ai été témoin de sa négociation, en silence, avec l’énergie du désespoir.




Négocier avec un monde absent

L’homme sans âge faisait le troisième thé. Juste avant il alignait comme un enfant des petits cailloux dans le sable, collier d’années perdues, les retournant entre ses doigts comme des grains de chapelets, noyaux de prières stériles. Puis du plat de la main il les enterra au Sahara et aspergea le sable d’eau, offrant aux petits verres la surface durcie d’un plateau.

De temps en temps, il suspend son geste, semble écouter, et repose l’or moussu. Puis il remue les lèvres en silence, attrape ce silence et de ses doigts le transforme en langue des signes pour un auditoire invisible et sourd. Étonné, j'ai écouté puis discrètement cherché des yeux ceux qu'il voyait. Nous ne sommes que deux, mais il prépare six verres. Avec attention il écoute l’absence de réponse aux questions que ses mains posent. Le plomb pesant du silence en échange d’une survie passant d’une année à l’autre, d’un verre à l’autre, combat inégal, négociation injuste du plomb contre l'écume. J’observe à travers ses gestes le monde qui est le sien et que je ne vois pas. 

A qui donc parlent ses mains ? Dans ce même monde d’oubli et d’invisibilité on prie aussi un Dieu caché dans cette immensité, osant le murmure interrogatif d’un abandon dans l’affirmation de paroles rituelles et quand on ne prie pas ce Dieu vient la litanie verbeuse et boisée des discours ressassés. Quand il est affamé de justice divine ou humaine, l’espoir se nourrit de mensonges. Les invités aussi restent muets à l’offrande du thé et au discours de ses mains. Le temps s’écoule d’un verre à l’autre sans trouver preneur.

Comme l’ennui recouvrant le temps, la mousse s’installe, dominante. J’ai appris à partager l’ennui chez les Sahraouis. L’ennui est le frère poussiéreux avec lequel jouent les enfants ; l’ennui c’est la couverture dans laquelle tous s’enroulent pour étouffer pendant quelques heures, le temps et ce lieu, donnés par erreur ; l’ennui, c’est ce sang épais et
douceâtre qui remplace peu à peu le votre, jusqu’à devenir ce caillot coagulant d’un accord unilatéral qui vous délivre enfin.

Venu pour cultiver des jardins, j’y ai d’avantage cultivé l’ennui. Quelques larmes suffisent, en plein désert, pour qu’il germe. L’ennui des oubliés, l’ennui des assistés, l’ennui des désespérés. Lorsqu’il est trop envahissant, on fait le thé ; on coiffe alors l’ennui d’un chèche de mousse.

Nous partageons le dernier thé, doux comme la mort, puis il se lève, refusant l’offre d’un maigre repas. Je le vois sur la piste, sans voix poursuivant les invisibles de ses gestes.
Ici, dans les camps, on ne négocie plus l’espoir avec un monde absent, on négocie juste avec le temps, le temps qu’il reste à vivre.

Jean-françois Debargue - Mai 2018
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Ordonner au soleil de se coucher

J’ignore comment il avait pu monter sur le toit de tôle. Comment il ne brûlait pas ses pieds nus.
Mais il était là, dressé sur cette pièce de toub comme à la proue d’un navire, devant une mer déjà retirée. Un oeil fermé, le bras droit tendu et son regard armé dessus, il était là, défiant le soleil couchant sur l’horizon, intimant du doigt à l’astre de fuir à son tour.
Il a posé le bout de son index sur le cercle rouge et, imperceptiblement, appuie dessus, sans trembler.
Comme une cerise sur une nappe, le soleil explose sur l’horizon, sous le doigt de l’enfant. Quelques nuages, serviles janissaires, tentent d’en éponger les éclaboussures.
Chaque soir, faute de mieux, un enfant paré de loques et de poussière met un terme à sa journée de réfugié, et à celle du camp, du bout de son doigt.
Chaque soir un tout petit enfant exilé du Sahara convoque l’astre royal à la barre de son tribunal de tôle ondulée et intime au despote de disparaître de son occident.
Chaque soir un enfant sahraoui éteint le plomb fondu du jour et plonge son peuple, pour quelques heures, dans un songe de liberté.

Jean-françois Debargue – Avril 18
(Procédures&mode d’emploi)

samedi 15 avril 2017

JfD. Étouffement organisé


« Les Sahraouis ? On s’en fout ! Ils sont inoffensifs  et pacifiés maintenant. On n’a plus qu’à attendre qu’ils s’éteignent tranquillement, étouffés par l’aide humanitaire dans leur désert ». 

Ces mots, prononcés par un fonctionnaire du Quai d’Orsay il y a déjà quelques années, reflètent à la fois le cynisme du pays dit des « Droits de l’homme » et l’instrumentalisation de l’aide humanitaire.

J’ai repensé à ces propos en tenant la main d’un vieil homme mourant sous une tente en février dernier. J’ai repensé à ces personnes disparues depuis 10 ans de fréquentation des campements Sahraouis, à ces enfants morts nés, à ceux emportés par la maladie, par le handicap, par l’injustice , à tous ceux « éteint tranquillement, étouffés par l’aide humanitaire »…

Les caravanes d’aides alimentaires continuent leurs incessantes navettes. Les négociateurs continuent de creuser la fosse commune du peuple Sahraoui comme on fait creuser leurs tombes aux condamnés. Vingt-six ans qu’ils creusent, pour avoir accepté ce marché de dupe : l’arrêt des combats contre l’organisation d’un référendum dans les neuf mois à suivre. Une durée de gestation de l’espoir qui s’est transformée en une nouvelle génération née dans les camps.

Les historiens mettront en avant ce calcul qui consiste à faire en sorte qu’une absence voulue de solution politique  sous anesthésie humanitaire finisse par résoudre un problème en devenant solution finale.

Non, l’application du processus de décolonisation n’est pas négociable. Non, la libération de prisonniers injustement jugés et condamnés  n’est pas négociable. Non, l’impunité d’un État  qui torture n’est pas négociable. Non, l’aide humanitaire n’a pas à être le sédatif d’une désertion politique.

L’aide humanitaire est née dans l’urgence exigeante des champs de bataille, des catastrophes naturelles ou de celles le plus souvent provoquées par l’homme. Son succès devrait  se mesurer  à la fois à sa rapidité d’intervention mais aussi à sa rapidité à quitter les lieux.  Elle a appris à se développer de façon protéiforme, des plus petites associations bénévoles jusqu’à l’internationalisation professionnelle parfois lucrative d’ONGs.

L’ONU qui s’est juridiquement ligotée par les liens de l’abstention ou du veto de ses états membres aux intérêts contradictoires a démontré une fois de plus son impuissance à organiser  le référendum d’autodétermination.  Chaque jour qui passe dresse de nouvelles pierres dans les cimetières Sahraouis sur le sol lunaire de la Hamada de Tindouf.  Une fois de plus, le 27 avril prochain,sera renouvelée cette mission fictive de la Minurso qui permet aux Nations Unies, en « gelant » la situation, et en sabordant les objectifs à atteindre, de déployer à loisir sa propre armada humanitaire, PAM ( Programme Alimentaire Mondial) UNICEF, OMS… À qui profite le crime ?

Le dévoiement humanitaire peut alors commencer. Conçu pour l’urgence, on lui demande de gérer une situation devenue  chronique, d’empiéter sur le champ du politique, suffisamment lâche et malhonnête  pour ne pas s’attaquer aux racines du mal colonial. L’aide humanitaire alors imperceptiblement  instrumentalisée doit s’interroger :  «  Faut-il aider les Sahraouis à survivre dans une injustice acceptable et l’absence voulue d’une solution politique ? » Si la réponse est oui, il lui faut alors accepter d’être  complice des preneurs d’otages en acceptant de continuer de nourrir les otages.

« Faut-il les aider à vaincre cette injustice » ? est une autre question qui appelle des réponses différentes, moins évidentes qu’une assistance systématique : celle de l’arrêt de négociations stériles.  Celle d’un ultimatum à poser à l’ONU. Celle d’un arrêt de l’aide humanitaire remettant la pression sur la responsabilité politique. Celle en dernier lieu d’une reprise des armes…

Mais que cesse ce lent étouffement humanitaire, politiquement prémédité.  Que cesse cet assistanat  sauvant des vies pour les maintenir en sursis et les priver d’avenir, cette éducation ajoutant  aux  capacités inutilisées la frustration, cette distribution alimentaire conçue pour l’urgence qui finit par nourrir des maladies chroniques, cette parodie de justice qui emprisonne les défenseurs des Droits de l’Homme et décore les bourreaux…
J’ignore  quels sont les mots donnés par ce jeune Sahraoui  à cet homme dont il caresse les cheveux blancs. J’ignore si l’homme qui meurt là en s’étouffant peu à peu est suffisamment conscient pour  percevoir qu’un jeune Sahraoui qui pourrait être son petit fils recueille son souffle. J’ignore si ce jeune homme pressent qu’il sera un jour ce vieillard agonisant dans ce désert, abandonné.

Mais je sais qu’ouvertement et sans aucune humanité des hommes (?) qui disent s’en foutre ont souhaité cet étouffement.

Jean-François Debargue, le 11 avril 2017
Publié par APSO avec l'autorisation de l'auteur

 Crédit photo JfD-Apso

mercredi 16 novembre 2016

Agounia

Un grand jardin de parcelles en damier fait un pied de nez au désert. Depuis trois générations une famille le cultive dans la daïra d’Agounia, à l’intérieur du camp de réfugiés sahraouis d’El Aaiun.

Agounia sonne comme agonie. Enfants des nuages ne les poursuivant plus pour mener les troupeaux en transhumance, mais fuyant leurs brulures de phosphore. Peuple ne traversant plus la surface du désert, mais la creusant en tombes où s’enterrer vivants pour échapper aux bombes et aux tirs, se mettant à creuser pour fabriquer des briques de toub pour s’abriter, la grattant pour pouvoir se nourrir, et la creusant, encore et encore en tombes où enterrer ses enfants, ne pouvant échapper à la mortelle absence de solution négociée.

Agounia, agonie silencieuse. Pendant que d’autres creusent leur pays, volent les richesses naturelles, raclent les fonds marins, enfouissent les Droits Humains au fond des geôles, trois générations cultivent les seules parcelles qu’on veut bien leur laisser. Celles d’une situation mise en jachère par l’ONU, d’une injustice comme autant d’adventices invasives tolérée par des pays  coupables et complices, d’une assistance déculpabilisante, celle d’une négociation dont les semences seraient stériles.

Agounia, agonie qui n’en finit pas. Et toujours aucun germe d’espoir. Pourtant cette année riche en évènements exceptionnels aurait du faire craqueler cette terre d’exil.
Les inondations de novembre 2015 et d’août 2016 offrant une fois de plus le choix d’un provisoire Sahraoui de toub ou de tente à consolider, ou bien d’un avenir algérianisé de parpaings.
La mort du Président sahraoui le 31 mai 2016 et quarante jours plus tard l’élection d’un nouveau Président à la fois combattant de la première heure et diplomate chevronné permettra t’elle de sortir de l’impasse ? « Chaque jour je me dis qu’aujourd’hui n’est pas un bon jour pour combattre et qu’il fallait combattre hier. Chaque jour », me disait un ami Sahraoui….
Les provocations marocaines : chasser la Minurso pour son emploi de l’euphémisme « occupation » ; expulser à tour de bras journalistes, avocats et défenseurs des Droits Humains ;  transgresser le mur de leur honte dans la zone d’Alguergarat, en violer le cessez-le-feu. Ces provocations n’ont jamais été aussi nombreuses et n’ont toujours pas entamé l’indifférence ni dérangé les intérêts de quelques « États voyous ». Dans ce monde où la provocation et l’outrance mènent  au pouvoir, la place des Sahraouis restera t’elle l’exil et la prison ?

Agounia, agonie négociée. Malgré ces évènements inédits depuis un an, la terre n’a pas bougé, l’espoir ne germe pas. Cette part d’humanité légitime d’un pays viable, ces hommes en attente de justice ne sont ils destinés qu’à devenir part d’humus d’une terre d’exil désertique et définitive ?

Agounia, c’est pourtant sous une de tes tentes que sans me connaitre on m’offre les seules richesses, une couverture pliée dans un coin, pour réchauffer corps et âme, du thé et du lait pour que je cesse de m’altérer. Je n’ai vécu cela que sous les tentes de réfugiés. Le « si peu » est offert sans délai et sans hésitation. « Celui que tu accueilles aujourd’hui, peut être t’abritera t’il ce soir... »


L’agonie , cette bataille livrée par le froid du cœur, par qui est elle vraiment perdue ?


Jean-François Debargue
Agounia, 10 novembre 2016

Nota
campements de réfugiés sahraouis : proximité Tindouf, désert salin sud ouest algérien
daira : ville
toub : sable argileux
minurso : mission des Nations Unies pour le referendum au Sahara Occidental

vendredi 15 avril 2016

Exiland, 27 février 2016

 
Seuls ses yeux dévorent son visage. Le reste de son corps n’a pas vraiment l’occasion de dévorer quoique ce soit. Ce petit garçon de cinq ans en parait à peine trois ; ce que les pédiatres appellent ici sans rire « un retard de croissance harmonieuse ». 

A ses côtés, sa maman, née elle aussi dans les camps,rongée d’anémie, en attendant qu’un diabète ou un cancer ne viennent squatter « une avance de vieillesse inattendue ».

Sur une  table ronde de plastique toute juste assez grande pour passer l’encadrement de porte sans porte, une coupelle est devenue enclos .  3 « vaches qui rit » y pataugent dans un peu d’huile, attendant d’être attrapées dans leur minuscule corral par quelques bouts de pain.

La jeune future vieille femme Sahraouie me tend un petit saladier rempli de lait humanitaire reconstitué. Excédent d’un autre continent, le lait de chamelle local étant devenu hors de portée... A quand leur nécessaire en place de notre excédent ? Je l’incline à peine, mouillant par plaisir le dessus de ma lèvre supérieure. Face à moi, descendant le rebord opposé, une mouche effrontée, boit, avec la même délectation.

Dehors le vent de sable s’est transformé en tempête orangée. Les tôles inquiètes tremblent sur le toit et, forçant l’hospitalité, une part fatiguée de sable se pose, drapée sur le sol. Nous nous réfugions dans la pièce la plus petite, celle qui sert de remise à quelques valises qui rêvent d’être faites depuis 40 ans.

Sur le plateau où le sable finit par s’inviter, Raïbi prépare le thé. En un étrange défilé, six verres à thé martèlent le plateau transformé en Hamada, peu à peu emplis de mousse comme d’un éphémère espoir. En ce jour du quarantième anniversaire de la République Sahraouie, réfugiée dans cette toute petite pièce au milieu du Sahara, exilée dans la tempête, une jeune femme perdue dans ses songes et au milieu des valises fredonne un vieux chant sahraoui à son fils endormi. Un vieux chant qui parle d’un pays volé.

Les rêves se transmettent malgré tout en milieu hostile, devenant alors actes de résistance…
 
Jean-François Debargue 
Le 15 avril 2016

samedi 9 avril 2016

Bruits de bottes



 Après des années d'immobilisme au cours desquelles chacun claironnait sa victoire sur des avancées insignifiantes pour se persuader, côté Sahraoui, que l'espoir est encore possible, les choses vont-elles enfin bouger ?

L'amertume du temps qui passe, 40 années d'exil, la situation de la population Sahraouie des Territoires Occupés, les disparitions forcées, l'enfermement et la torture des prisonniers politiques, les graves inondations d'octobre ou la dégradation des conditions de survie dans les camps n’ont pas permis d'émouvoir une opinion indifférente ou maintenant préoccupée par sa seule sécurité.
Si une solution devait enfin naître, il semblerait que ce soit de la dégradation des relations entre le Maroc et l'ONU. L'émissaire du Secrétaire Général, puis le Secrétaire Général lui-même, et enfin les membres de la mission de l'ONU au Sahara ont tour à tour été déclarés "personna non grata" ou expulsés par le pouvoir marocain.
Mis devant le fait accompli de ne plus pouvoir négocier, - si négociation il y avait - l'occasion est aujourd’hui donnée au Polisario, de choisir d’agir pour chercher une solution sans l’ONU, et l’une des action pourrait être de reprendre les armes dont la menace régulièrement brandie trouve aujourd'hui un écho particulier.
Si le Polisario tergiverse et laisse l'ONU faiblir une fois de plus devant le Maroc pour revenir avec encore moins de pouvoir - rappelons que la Minurso est déjà la seule mission contemporaine de l'ONU qui ne soit pas mandatée pour juger du respect des Droits Humains - alors la situation continuera de s'éterniser, profitant au colonisateur.  En soutenant le Maroc dans son coup de force contre les Nations Unies, la France et l’Arabie Saoudite contribuent à mettre la région en danger. Il est vrai que ces apprentis sorciers ont de l’expérience…
Il s'agit sans doute là d'une des toutes dernières chances des Sahraouis. La situation est inédite et dans leur précarité on peut penser que les Sahraouis n'ont malheureusement plus rien à perdre.
En effet, depuis plus de 25 ans, le champ des négociations n’a pas donné la moindre récolte et même ceux qui avaient soutenu cette forme d’espoir confessent que leur plus grande erreur fut d’avoir signé le cessez-le-feu en 1991, suite à la promesse, 25 fois dite, 25 fois oubliée, qu’un referendum serait organisé dans les neuf mois suivants.
Qui pourra reprocher aux Sahraouis de renoncer à leur patience et leur non-violence après avoir été floués par l’échange d’un référendum promis contre un quart de siècle de négociations infructueuses et d’assistanat humanitaire ?
Qui pourra leur reprocher de vouloir mourir les armes à la main plutôt que de mourir dans les camps, la main tendue ? ou de mourir sous la torture en territoires occupés ?
Cette phrase de Boualem Sansal dans son livre « 2084 », s'appliquera-t’elle aux Sahraouis ?
" Dans le provisoire qui dure, il y a une leçon : l'important n'est plus le but, mais la halte, fut elle précaire. Elle offre repos et sécurité, et ce faisant elle dit l'intelligence pratique de l'Appareil ".
La halte n’a que trop duré. Elle touche les enfants de parents eux-mêmes nés dans les camps. Elle offrit certes repos et sécurité après l’exode de 1975.
Aujourd’hui elle n’offre aux générations nées de cette halte qu’une unique forme de repos et de sécurité : la mort dans l’oubli…

Jean-François Debargue
6 avril 2016 

dimanche 8 novembre 2015

Solubilité de l’espoir dans l’oubli ?



Nuena 40 ans après, même détermination
Ma sœur Sahraouie Nuena me l’a dit une nouvelle fois : « Ce que tu lis tu l’oublies, ce que tu entends tu l’oublies. Mais ce que tu vois, tu ne peux l’oublier ». Nuena est une spécialiste, défenseure des oubliés, oubliée elle-même.

Bien sûr je pourrais décrire les murs effondrés, les toits au sol, les vieilles tentes montées en toute hâte le long du camp de Smara, la moitié des habitations de banko d’Aousserd détruites, Dakhla redevenue sable à 80%. Bien sûr, je pourrais raconter une dizaine de jours passée avec ma famille d’accueil dans une petite serre à tomates de quatre mètres sur deux transformée en tente de poche, à quatre dont un jeune enfant malade et quelques centaines de mouches.
Mais qui pourra raconter les fêlures de ces êtres humains encore étonnamment debout, les fissures profondément inscrites dans leur vie d’exil, les blessures infligées par 40 années d’épreuves ?
Qu’on ne s’y trompe pas ; la luminosité dont certains font preuve passent aussi par ces failles dont ils sont lézardés :
Dounda, qui fait l’admiration de ses professeurs a donné sans compter à Fatma, sa petite sœur lourdement handicapée, plusieurs années de son adolescence et de sa scolarité. Cette année, brusquement, leur papa est mort. Cet homme dans la force de l’âge, en d’autres lieux, ne vous rendait qu’avec regret la main qu’il vous serrait, une fois prisonnière de la sienne. Je sais aujourd’hui qu’il y mettait l’intensité d’un pressentiment d’urgence. Du jour de sa mort, Fatma n’a plus ouvert la bouche, pour manger, pleurer ou sourire. Elle s’est laissé mourir une semaine après son père. Comme s’il avait usé d’une ultime grâce paternelle pour la délivrer et l’accueillir. Qui décèlera les fêlures sillonnant déjà la courte vie de Dounda ?
Douna et Fatma
Et Ghalia, dont le sourire peine à cacher la fatigue et l’anémie, prête à accoucher de son troisième enfant, elle qui déclarait adolescente ne pas vouloir donner vie dans ces camps où elle est née, qui dira la fragilité de ce qu’elle à finit d’accepter de construire ?
Et cette femme assise dans la poussière, pleurant sur, croyais-je, les gravats et ses maigres biens éparpillés autour d’elle et qui, nous l’apprîmes par une voisine, devenait folle d’avoir perdu sa fille… Quel homme, même s’arrogeant les pouvoirs d’un despote de Droit Divin pourra en réparer la brèche ?
Combien sont ils à se composer une façade digne et résistante face à l’usure du temps, à un assistanat déshumanisant, à l’injustice de l’application de leurs Droits. Combien sont ils encore à héberger l’espoir dans ce provisoire qu’ils finissent eux-mêmes par devenir ?

Ironie des mots et de l’histoire ! Les premiers responsables du Polisario voulurent détruire les quelques habitations en dur laissées par des bédoins de passage et que voulaient utiliser les nouveaux réfugiés arrivés en exil à Dakhla il y a 40 ans. La tente, symbole du provisoire, rappelait et devait rappeler chaque jour le retour espéré. Aujourd’hui, la plupart des responsables du Polisario habitent Tindouf… Ces dix dernières années les plus avisés analysaient que l’espoir d’un changement ne viendrait plus des camps mais des territoires occupés. Mais après l’Intifada, l’espoir écrasé de Gdeim Izik et l’emprisonnement de la relève générationnelle sahraouie à l’encontre de tous les Droits, seule la recherche de solutions familiales ou personnelles semble devenir prioritaire. L’espoir peut il survivre à un provisoire de quatre décennies ? S’éteindra t’il dans une sédentarisation rampante ?
Demain la quatrième génération vivra gratuitement mal dans ces camps, buvant coca-cola, mangeant PAM, fumant American Legend, en regardant des Soap Opera turcs et en se face-bouquant. Ils ne pouvaient pas espérer mieux que cette extinction annoncée, ceux qui vont fêter l’anniversaire des quarante ans de la trompeuse “marche verte”, paravent civil d’une invasion militaire, tout en omettant le rapport de la Cour Internationale de Justice du 15 octobre 1975 déboutant le Maroc de ses arguments de souveraineté sur le Sahara Occidental et autorisant le Peuple Sahraoui à faire valoir son droit à l’autodétermination.
J’ai vu les petits enfants des “enfants des nuages” jouer dans des lacs boueux et plus provisoires que leur avenir, ignorant qu’on leur avait volé une mer.
J’ai vu leurs grands parents ayant jadis suivi les bienfaits de la pluie dans leurs transhumances nomades faire des rigoles pour protéger des mêmes nuages cet exil honni.
J’ai vu grandir malgré leur “retard de croissance harmonieuse” les enfants sahraouis, je les ai vu jouer sans jouets, étudier sous les néons défaillants des camps, continuer d’apprendre dans d’autres pays pour… revenir faire des briques de sable. 
 
Ces vies difficilement construites, se soutenant solidairement je les vois fragiles et fissurées, dernier abri d’un espoir légitime, menacées de la pluie fine et persistante de notre oubli.

Jean-François Debargue, le 2 novembre 2015
Publié le 8 novembre par Apso avec l’autorisation de l’auteur.
Crédits Photos JFD

lundi 15 juin 2015

L’indifférence du sable


Le 27 mai 2015, Germaine Tillion, Geneviève De Gaulle Antonioz, Jean Zay et Pierre Brossolette, figures de la résistance de la 2ème guerre mondiale sont entrés au Panthéon. Volonté des familles, dans le cercueil des deux femmes, du sable.


L’indifférence du sable

Devant des cercueils emplis de sable, un homme exhorte à « résister face à l’indifférence ».

En mal de reconnaissance et de postérité, ce n’est pas la première fois, ni la dernière que des hommes d’Etat prennent en otages et s’identifient par procuration à ces hommes et ces femmes héroïques s’étant dressés contre l’ordre établi et les majorités silencieuses, principaux leviers de gouvernance de ces mêmes hommes d’Etat.

Reconnaître implicitement un courage qui leur fait défaut, est-ce un aveu d’impuissance ou le salvateur sursaut d’un vouloir mieux faire ?

Honorer ceux qui ont témoigné et se sont engagés en résistance, pour la liberté au risque de leur sécurité, et à contre courant pour les « oubliés, les exploités, les déportés », est ce associer leur histoire à l’Histoire d’une république digne qui en retiendrait et en appliquerait  les leçons ? Ou est-ce la « javellisation » d’une poursuite de collaboration pragmatique avec des dictatures traditionnelles ou plus modernes comme celles des multinationales ou de la finance ?

Le sable devant lequel un homme s’incline, c’est aujourd’hui celui des plages ou des fonds marins que rejoindront des exilés tous autant entassés sur des bateaux de fortune que ceux qui l’étaient dans des wagons plombés.

Le sable devant lequel un homme s’incline, c’est aujourd’hui celui des bas-côtés où s’enlisent les laissés pour compte de toutes les sociétés.

Le sable devant lequel cet homme s’incline, c’est celui de ce sablier géant Saharien où survivent depuis 40 ans les réfugiés Sahraouis auxquels, entre autres, le pays de cet homme refuse l’accès à la décolonisation.  Ce sable, c’est celui des fosses communes des portés disparus, des cimetières à ciel ouvert de déserts traversés dans l’espoir d’accéder à ce pays où l’on porte en les honorant au Panthéon des cercueils qu’il contribue à remplir. 

Comment le sable des réfugiés, des naufragés, des exclus, finit-il de lester cette tombe de notre histoire collective ?

Je veux croire que l’exemple héroïque et la mémoire de ces hommes et de ces femmes de l’ombre supplantera demain le retour lâche et amnésique de la raison d’État. Comme je veux croire que des milliers d’hommes et de femmes de l’ombre ne continueront pas de disparaître dans l’indifférence des sables.

Jean-François Debargue
28 mai 2015
Publié par APSO avec l'autorisation de l'auteur