Lettre ouverte aux Évêques
d'Algérie
J'entends
dire, à qui veut bien l'entendre, que le temps de carême est un temps de
partage.
Alors permettez-moi de partager avec vous la
proximité d’une souffrance, à défaut de partager l'immense misère du monde.
Permettez-moi de partager pendant quelques
minutes de votre temps des années
passées dans les camps de réfugiés Sahraouis, dans cette partie du désert
évitée des nomades, où cependant trois générations se partagent presque 40 ans
d'exil.
Permettez
que nous partagions au moins pour
information et par empathie ces conditions climatiques inimaginables si on ne
les vit pas, ces maladies chroniques que les mesures alimentaires
déséquilibrées d'urgence finissent par installer, cet espoir d'une solution
pacifique et juridique qui s'amenuise d'années en années au point qu'il ne pourrait
bientôt plus se partager ;
Et
cette souffrance, sous leur fierté cachée, tant et si bien qu'elle a sans doute
tant de mal pour cela, à être partagée.
Permettez
que nous partagions l'injustice d’une centaine de résolutions juridiques internationales admises
mais non appliquées pour la libre détermination de leur avenir, mais également
l'injustice de procès d'exceptions bafouant les mêmes résolutions et règles
internationales et condamnant des militants des Droits de l'Homme de 20 ans de
réclusion à perpétuité par des aveux signés de leurs empreintes, yeux bandés
lorsqu'ils refusent de le faire par écrit sous la torture.
Et
nous, à quel tribunal appartenons-nous pour condamner les enfants qui
continuent de naître dans les camps ?
Pouvons-nous
admettre et partager cette détermination de l'avenir d'un peuple?
Notre
part offerte du partage n’est elle donc que cet assourdissant silence et cette lâcheté
des « grands de ce monde », une part séparatrice comme ce mur et ce
champ de mines qui divisent un même peuple ?
Nous
avons divisé, colonisé, « dévelopillée » l’Afrique selon nos notions
de partage et de profits confusément mêlées. Le Sahara Occidental, dernière
colonie d’Afrique en est l’exemple. Aujourd’hui l’humanitaire tente de réparer les conséquences de ces fautes quand
il n’est pas instrumentalisé par ceux qui les commettent.
Faudra
t’il continuer d’échanger indifférence contre souffrance ou de partager
solidarité et espoir ?
Permettez
que nous partagions quelques instants d’un carême, non de 4O jours, mais de
bientôt 40 années au désert.
Mon amie Nuena, femme sahraouie, un jour
m’a dit : « Quand tu lis, tu oublies. Quand tu entends, tu oublies. Mais si
tu vois, tu n 'oublies jamais ». C'est pourquoi vous êtes les
bienvenus au milieu du peuple Sahraoui, invités à découvrir et voir la vérité,
invités à la déclarer ensemble. Ces quelques signes de partage sont à votre
portée, à la portée de tous ; quelques jours passés dans les familles de
réfugiés, témoigner de cette petite vérité vécue, rester éveillés à leurs côtés…
…Pour
avoir entendu et compris que le temps de carême est un temps de partage.
Jean-François
Debargue
Secrétaire
Général de Caritas Algérie
Alger,
le 18 février 2013
Publié par APSO avec l'autorisation de l'auteur