Le jour s’étire sous le drap
de sa nuit, tranquillement, sans bruit. Dans la poussière de la Hamada, la
prière des hommes accompagne cet enfant né de l’aube et le berce dans son
refuge rouge sang. Ces hommes qui prient sont eux-mêmes réfugiés.
Depuis plus de trois
générations. Ils savent tendre avec respect une couverture à l’hôte et au jour
passant.
À mes côtés gazouille
joyeusement une toute petite fille aveugle, Fahrida, comme un oiseau dans
l’épaisseur à jamais sombre de sa forêt.
Ce n’est pas le malheur qui
blesse, c’est d’avoir eu connaissance du bonheur. Les vieux Sahraouis portent
dans leurs yeux ridés cette blessure que ravivent les souvenirs des jours
heureux. Ils enseignent douloureusement ce bonheur d’avoir été libres à ceux
qui ne l’ont pas connu pour ne pas faire du malheur une simple insouciance.
Seul le premier déracinement
compte. En perdant tout on se quitte vraiment. On n’emporte que sa vie et le
sac sans poids des souvenirs. Vous n’êtes plus vous, vous êtes déjà un réfugié
qui court à vos côtés. Du presque rien de ce sac il faut refaire une identité.
Les départs suivants ne sont plus arrachements mais pas encore des choix. Ce
sont mouvements de nage pour ne pas couler, pas forcément pour vivre, mais pour
ne pas mourir.
Fahrida sautille dans ses
feuillages. Faudra t’il lui dire ce qui lui manque ? Sous le drap de sa
nuit, rêve t’elle en noir et noir ?
Seul un comportement de
grand nomade permet paradoxalement de survivre à la sédentarisation des camps.
Mais la capacité à s’adapter aux pires des situations survit elle à la
succession des générations ? à la perte mémorielle faute de vécu ? à
l’inanité des institutions faute de présent et d’avenir ? à l’étouffement
instrumentalisé de l’assistanat humanitaire ? à la diaspora provisoirement
définitive ?
Faut-il taire aux nouvelles
générations nées dans les camps leurs droits spoliés ?
Faut il en arriver à
souhaiter que la cécité de ceux qui détiennent la solution contamine les
réfugiés, comme un refuge ultime ?
Dans ce monde plus profond
encore d’absence et d’oubli, sous le drap de nos nuits, Fahrida avance en
éclaireuse.
Jean-François Debargue
Décembre 2018