« Les Sahraouis ? On s’en fout !
Ils sont inoffensifs et pacifiés
maintenant. On n’a plus qu’à attendre qu’ils s’éteignent tranquillement,
étouffés par l’aide humanitaire dans leur désert ».
Ces mots, prononcés par un fonctionnaire du Quai
d’Orsay il y a déjà quelques années, reflètent à la fois le cynisme du pays dit
des « Droits de l’homme » et l’instrumentalisation de l’aide
humanitaire.
J’ai repensé à ces propos en tenant la main d’un
vieil homme mourant sous une tente en février dernier. J’ai repensé à ces
personnes disparues depuis 10 ans de fréquentation des campements Sahraouis, à
ces enfants morts nés, à ceux emportés par la maladie, par le handicap, par
l’injustice , à tous ceux « éteint tranquillement, étouffés par
l’aide humanitaire »…
Les caravanes d’aides alimentaires continuent leurs
incessantes navettes. Les négociateurs continuent de creuser la fosse commune
du peuple Sahraoui comme on fait creuser leurs tombes aux condamnés. Vingt-six
ans qu’ils creusent, pour avoir accepté ce marché de dupe : l’arrêt des
combats contre l’organisation d’un référendum dans les neuf mois à suivre. Une
durée de gestation de l’espoir qui s’est transformée en une nouvelle génération
née dans les camps.
Les historiens mettront en avant ce calcul qui
consiste à faire en sorte qu’une absence voulue de solution politique sous anesthésie humanitaire finisse par
résoudre un problème en devenant solution finale.
Non, l’application du processus de décolonisation
n’est pas négociable. Non, la libération de prisonniers injustement jugés et
condamnés n’est pas négociable.
Non, l’impunité d’un État qui
torture n’est pas négociable. Non, l’aide humanitaire n’a pas à être le sédatif
d’une désertion politique.
L’aide humanitaire est née dans l’urgence exigeante
des champs de bataille, des catastrophes naturelles ou de celles le plus
souvent provoquées par l’homme. Son succès devrait se mesurer à la
fois à sa rapidité d’intervention mais aussi à sa rapidité à quitter les
lieux. Elle a appris à se développer
de façon protéiforme, des plus petites associations bénévoles jusqu’à
l’internationalisation professionnelle parfois lucrative d’ONGs.
L’ONU qui s’est juridiquement ligotée par les liens
de l’abstention ou du veto de ses états membres aux intérêts contradictoires a
démontré une fois de plus son impuissance à organiser le référendum d’autodétermination. Chaque jour qui passe dresse de nouvelles pierres dans les
cimetières Sahraouis sur le sol lunaire de la Hamada de Tindouf. Une fois de plus, le 27 avril
prochain,sera renouvelée cette mission fictive de la Minurso qui permet aux
Nations Unies, en « gelant » la situation, et en sabordant les
objectifs à atteindre, de déployer à loisir sa propre armada humanitaire, PAM (
Programme Alimentaire Mondial) UNICEF, OMS… À qui profite le crime ?
Le dévoiement humanitaire peut alors commencer. Conçu
pour l’urgence, on lui demande de gérer une situation devenue chronique, d’empiéter sur le champ du
politique, suffisamment lâche et malhonnête pour ne pas s’attaquer aux racines du mal colonial. L’aide
humanitaire alors imperceptiblement
instrumentalisée doit s’interroger : « Faut-il aider
les Sahraouis à survivre dans une injustice acceptable et l’absence voulue
d’une solution politique ? » Si la réponse est oui, il lui faut alors
accepter d’être complice des
preneurs d’otages en acceptant de continuer de nourrir les otages.
« Faut-il les aider à vaincre cette
injustice » ? est une autre question qui appelle des réponses
différentes, moins évidentes qu’une assistance systématique : celle de
l’arrêt de négociations stériles.
Celle d’un ultimatum à poser à l’ONU. Celle d’un arrêt de l’aide
humanitaire remettant la pression sur la responsabilité politique. Celle en
dernier lieu d’une reprise des armes…
Mais que cesse ce lent étouffement humanitaire,
politiquement prémédité. Que cesse
cet assistanat sauvant des vies
pour les maintenir en sursis et les priver d’avenir, cette éducation
ajoutant aux capacités inutilisées la frustration,
cette distribution alimentaire conçue pour l’urgence qui finit par nourrir des
maladies chroniques, cette parodie de justice qui emprisonne les défenseurs des
Droits de l’Homme et décore les bourreaux…
J’ignore
quels sont les mots donnés par ce jeune Sahraoui à cet homme dont il caresse les cheveux
blancs. J’ignore si l’homme qui meurt là en s’étouffant peu à peu est
suffisamment conscient pour
percevoir qu’un jeune Sahraoui qui pourrait être son petit fils
recueille son souffle. J’ignore si ce jeune homme pressent qu’il sera un jour
ce vieillard agonisant dans ce désert, abandonné.
Mais je sais qu’ouvertement et sans aucune humanité
des hommes (?) qui disent s’en foutre ont souhaité cet étouffement.
Jean-François Debargue, le 11 avril 2017
Publié par APSO avec l'autorisation de l'auteurCrédit photo JfD-Apso