Deux
fois à cinq ans d'intervalle, j'ai entendu cette phrase d'un haut responsable,
conseiller du Président Sahraoui. C’était sa conclusion face à des délégations
internationales. Deux fois de trop. Outre le fait que ces propos peuvent
conforter les dites délégations dans leur immobilisme, ils sont insoutenables
pour ceux à qui ils sont vraiment adressés, ceux qui sont concernés !
L'image romantique du nomade capable d'endurer les pires traversées du désert
ne peut justifier la lente disparition programmée d'un peuple par ceux à qui
profitent vraiment ce temps qui passe !
À
ce peuple, chaque jour pillé de ses ressources, le temps profite t’il ?
À
ces manifestants des territoires occupés, arrêtés, torturés, le temps profite
t’il ?
À
ces familles séparées, déchirées, entre camps et territoires occupés, le temps
profite t’il ?
À
ces femmes des camps, anémiées au point de ne pouvoir porter ou donner la vie,
sans le risque de la mort ou du handicap, le temps profite t’il ?
A
tous ceux qui endurent les conséquences chroniques alimentaires, sanitaires et
morales de ce damné défilé d’années, le temps profite t’il ?
À
cette deuxième génération née dans les camps, n’ayant que la mémoire transmise
pour nourrir l’espoir, le temps profite t’il ?
À
ces prisonniers iniquement condamnés à 20, 30 ans ou à perpétuité, dans ces procès fabriqués et d’un autre
temps, le temps profite t’il ?
À
tous ceux-là, ce proche de celui qui fut le premier secrétaire et dirigeant
emblématique du peuple Sahraoui mort sans avoir profité du temps qui passe, à
tous ceux-là, peut-il oser dire face à face, les yeux dans les
yeux : « Le temps qui passe profite aux Sahraouis ».
Le
temps profite au colonisateur, le temps profite aux multinationales, le temps
profite aux pays complices, le temps profite à l’Onu et à ses agences
« humanitaires », le temps profite à bon nombre d’ONGs, le temps
profite à l’absence de solution comme résolution possible de ce conflit
Sahraoui, oublié avec obstination depuis 38 ans.
Pour
que le temps qui passe profite vraiment aux Sahraouis, il faudrait installer
les négociateurs dans les conditions des personnes qu’ils prennent en otages
dans ces tentes en plein désert et ne leur permettre d’en sortir qu’une fois la
solution trouvée. Il ne faudrait pas alors 22 ans pour mettre en place le
référendum promis par l’Onu.
Pour
que le temps qui passe profite vraiment aux Sahraouis, il ne faudrait pas qu’il
soit « gelé » par l’inertie fonctionnelle machiavélique du système de
veto ou d’abstention d’un état
membre du conseil de sécurité, bloquant toute possibilité d’avancée. Le
système onusien est une garantie de gel, et sa devise est : « Il
n’est pas de problème qu’une absence de solution ne finisse par
résoudre ! »
La perfusion humanitaire
s’apparente aujourd’hui à un soin de confort palliatif. L’espoir finit par se
dissoudre dans ce temps qui passe. Je partage malheureusement cette impression
avec de plus en plus de personnes impliquées depuis suffisamment d’années pour
se rendre compte que le temps qui
passe profite à ceux à qui le crime profite !
JF
Debargue - Camp de réfugiés d’El Aaiun - Octobre 2013
Publication APSO autorisée par l'auteur.
Photo JFD