Défilés
Faudra t'il
attendre 50 ans? Pour que cette lente danse gracieuse et patiente des Sahraouis
s'immobilise en une danse mortelle.
Ils sont là, par
centaines, à fêter leur résistance, collective et individuelle.
Quarante années
d'un front dressé pour se libérer d'un système colonial et aussitôt tomber sous
le joug d'un autre.
Quarante années
dont presque trente huit d'exil géographique pour la moitié d'entre eux dans
les camps de réfugiés et trente huit d'exclusion sociale pour celle restée sur
place, en zone occupée.
Ils sont là, par
centaines, par plus de 40 degrés à l'ombre à attendre de défiler, devant un
monde absent aux institutions immobiles.
Une année de
souffrance et d'usure supplémentaire affichée au thermomètre d'une indifférence
aussi accablante qu'un soleil de plomb fondu. Le seul chiffre qui baisse ici,
c'est l'âge de la mort !
Les années
défilent. Les hommes aussi, dans leurs uniformes militaires.
Les années
passent. Les femmes aussi, en costumes noirs et blancs, comme figées par le
temps.
Les années
coulent. Comme coule cette génération d'enfants dans ces oueds oubliés,
chantant des slogans d'appels à l'espoir sur le ton d'appels au secours.
Ces années
inscrites en chiffres égrenés sur ces panneaux brandis, ces visages de disparus
pleurés, jusqu’aux pierres de cimetières dressées, paradant immobiles en rangs
serrés.
Des hommes, des
femmes, des enfants, oubliés par milliers, vieillissants. Condamnés à marcher
dans le désert, prison à ciel ouvert. Que le pas soit martial, dansant ou
hésitant, il demeure exilé, inutile, désorienté, année après année.
La mort s’annonce
ici dès la naissance, comme un porte drapeau. L’échec est l’ombre du moindre
espoir au point qu’échouer devient victoire, pour que l’espoir demeure, malgré
tout.
On défile donc,
parce que l’espoir s’est défilé en 1975, puis en 1991, puis d’années en années.
Seules les
condamnations pleuvent sur les innocents qui défilent aujourd’hui dans ce camp
d’El Ayoun ou dans la capitale du Sahara Occidental. Vingt ans, trente ans,
perpétuité, la mort.
Ce damné défilé
d’années n’en finira t’il donc jamais?
Résolutions
humanistes devenues lettres mortes, urgence humanitaire devenue gestion
chronique, frères humains devenant proies d’exil.
J’ai alors vu en
chaque Sahraoui, en une ferme calligraphie, une lettre de l’acte d’accusation.
Puis à l’horizon,
dans la chaleur ondulante, j’ai cru voir les coupables et leurs complices,
s’approchant pour défiler, à la barre.
Jean François Debargue. Le 10 mai 2013, camp d'Elayoun