Le texte
suivant est une partie d'un diptyque qui propose de suivre le destin de deux Sahraouis dont les chemins se sont
croisés dans les mêmes lieux aux mêmes périodes. Les campements de El Aaiun
occupée en 1991, année du cessez-le-feu. Par leurs choix opposés, acceptation
ou résistance, ils illustrent ce que l’histoire a malmené les hommes, quand
rien n’est simple et que le prix à payer est lourd.
Ci-dessous, Mohamed Mayara refuse pour survivre à la mort de son père, de sa sœur, et que
leurs mémoires ne soient pas effacées... Mohamed
Ardoun accepte pour survivre, et en meurt ignoré et méprisé des autorités, le texte sera publié ultérieurement.
Le diptyque a été publié dans Informations et Commentaires, le développement en questions, septembre 2016
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Je suis
militant sahraoui pour le respect des droits de notre peuple. Je suis un parmi
d’autres. Les autorités marocaines utilisent tous les moyens possibles pour
nous empêcher de mener notre combat, par de l’intimidation, de la
discrimination, des humiliations, en nous faisant prendre du temps et de l’énergie,
ou en compliquant nos moyens économiques de subsistance.
J’ai connu
les arrestations et longs interrogatoires répétés, les fouilles
irrespectueuses, et les espionnages divers, les coupures de téléphone et d’électricité
intempestives, l’encerclement très visible de ma maison par des dizaines de véhicules
de la police…
Je suis né
le 6 décembre 1975, j’avais 1 mois le jour de l’invasion militaire du Sahara
Occidental. Mes parents, originaires de El Aaiun, habitaient alors Tantan au
sud du Maroc. Je suis le dernier de ma fratrie. Nous sommes 5 sœurs et 3 frères.
Mon père
Haiba Mayara a disparu le 27 février 1976, jour de la proclamation de la République
Sahraouie, un peu plus de deux mois après ma naissance. Il avait 55 ans.
La police
est venue dans notre maison à Tan Tan, Les agents ont mis de force un bandeau
sur les yeux de mon père et l’ont menotté. Ils ont emmené de la même façon mes
trois oncles, avec comme seule explication qu’ils étaient tous du
Polisario.
Mon père
est resté enfermé vers Agadir, dans une prison secrète marocaine où il est mort
en 1977. Il est mort sous la torture des Marocains. Mon oncle était avec lui en
prison, il a été libéré en 1991 et nous a appris la mort de mon père et ses
circonstances. J’avais presque 16 ans.
Un grand frère,
une grande sœur et ma mère ont aussi connu une période de disparition forcée et
de torture. Mon grand frère Med Salem, né en 1958, était maitre dans une école
de Essmara quand il a été arrêté en juin 1976. Il était soupçonné d’avoir des
relations avec le Polisario. Il a disparu pendant 6 mois. Il a ensuite été
constamment menacé et harcelé, il l’est toujours.
En juin
1976, Aicha, ma grande sœur née en 1954 a été arrêtée à Glimim, pas très loin
de chez nous. Elle aussi a disparu pendant 6 mois. Elle s’était mariée en 1968
et avait deux enfants nés en 1969 et 1975. Son mari qui travaillait en France
avant de rejoindre le Polisario en 1975 est mort pendant la guerre contre le
Maroc, en 1984. Aicha est morte en 1987, des suites des tortures parce que la
famille n’a pas pu la conduire au Maroc pour y être soignée. Ses enfants ont été
élevés avec moi. Son deuxième fils Rachid, né la même année que moi, est mort
une nuit de 1997, à 22 ans. Le docteur a dit qu’il avait fait une crise
cardiaque.
En 1977,
avec 17 autres femmes sahraouies, ma mère est allée à Rabat pour « chercher
son mari » comme elle dit. Elle n’a rien appris sur lui, et a été arrêtée à
Guelmim à son retour. Elle a disparu pendant 3 mois. J’avais un an et demi et j’étais
avec ma grand-mère.
Je suis allé
à l’école à Tan Tan en 1981, et je n’en ai pas de bon souvenir. Dès le début je
me suis trouvé dans des bagarres avec les enfants marocains, et le père de l’un
deux m’a frappé. J’ai alors réalisé que personne ne pouvait m’aider que des
femmes : ma mère et les femmes de mes oncles. Cette prise de conscience de
l’absence des hommes m’a profondément marqué.
Je suis allé
au collège à Tan Tan jusqu'à la quatrième année. (3ème dans le système français)
La famille
a déménagé vers El Aaiun en 1991. Nous attendions avec impatience la libération
les disparus sahraouis. Ils ont été relâchés en juin 1991 mais mon père n’était
pas parmi eux.
Nous avons
d’abord habité sous la tente dans les campements de Sahraouis qui étaient à l’entrée
nord de El Aaiun. Nous y sommes restés 3 ans, le temps de trouver un
logement dans la ville.
Après mon
bac en 1997, j’avais essayé de faire des études universitaires à Rabat, mais
les conditions étaient trop difficiles, et j’ai abandonné. Il n’y a pas d’université
au Sahara Occidental, et les conditions pratiques et pédagogiques que nous
devons supporter sont décourageantes.
Si la
conscience de mon identité sahraouie et de ses conséquences est ancrée dans mon
histoire familiale, j’ai choisi la résistance à l’occupant et à l’oubli en étant
membre du comité des familles des martyrs dans les centres secrets. Il est des
vérités qu’il est nécessaire de connaître pour vivre.
J’avais 24
ans en 1999 lors de ce que nous appelons la première intifada.
Notre énorme
manifestation a été attaquée par les forces d’occupation, et j’ai fui vers
Rabat pour échapper à la répression, les arrestations, les tabassages. Là j’ai
décidé d’apprendre une langue pour immigrer et défendre ma cause depuis l’extérieur.
J’ai commencé par prendre des cours d’anglais à l’American Language Center puis
j’ai décidé de m’inscrire au Goethe Institut. J’ai obtenu le Zertifikat
Deutsche Als Fremdsprache, diplôme d’Allemand. Il validait un an d’étude. Cette
période est pour moi le début de la conscience qu’il ne faut pas se laisser
massacrer sans le faire savoir en dehors du pays. J’ai commencé à faire des vidéo,
à écrire des informations. Finalement je ne suis pas parti à l’étranger, mais j’avais
acquis des bases précieuses en allemand et anglais.
En 1999
aussi, après la mort d’Hassan 2, le Maroc de Mohamed 6 veut couper avec le passé.
Il met en place l’instance indépendante pour la compensation matérielle pour la
réconciliation.
Un agent de
cette instance à El Aaiun m’a donné un chèque de 12 mille dirhams sans un mot.
Je n’ai reçu ni explication ni information sur ce que mon père avait vécu
pendant toutes les années de disparition. Je n’ai pas eu de preuve de sa mort,
ni l’endroit de sa sépulture s’il était vraiment mort. Je n’ai pas su si les
responsables de son enlèvement et ses tortionnaires ont été jugés… C’était ça
qui m’importait.
J’ai donné
l’argent à ma mère pour qu’elle puisse construire une maison. Tous les membres
de la famille ont reçu un chèque. Ma mère a reçu 43 mille dirhams. Il n’y avait
pas de barème ni de logique entre les familles sahraouis pour les montants des
chèques.
Cette
instance a été très critiquée par nous, mais aussi au niveau international.
En 2004,
suite aux pressions, le royaume crée donc l’Instance Equité et Réconciliation
(IER).
Cette
instance doit rendre des comptes aux familles sur les disparus, dire où sont
ces hommes et ces femmes et s’ils sont morts ou vivants, remettre les dépouilles
ou objets personnels, juger et condamner les responsables des violences.
En 2006 une
délégation est envoyée à El Aaiun pour rencontrer les familles des victimes des
années du règne de Hassan 2 et organiser les négociations.
Je vais à la rencontre de cette délégation
avec d’autres membres du comité des martyrs des prisons secrètes. Mais les représentants
de l’IER refusent de nous rencontrer. Le Makhzen veut voir quelques représentants
de chaque familles une par une, et négocier avec eux, et non discuter avec des
comités ou associations.
Avec 2 de
mes sœurs, nous représentons donc la famille. L’agent qui nous reçoit, un
sahraoui nommé Melainin Melainin qui travaille pour le Maroc, nous informe que
le corps de mon père est dans une fausse commune à Agdiz au nord de Ouarzazat,
- où de nombreux sahraouis sont morts sous la torture-, et que le roi va
construire à proximité un cimetière dans lequel les tombes seront en marbre.
L’agent
nous informe que le roi va affréter un avion spécial pour y conduire les
familles. Il nous flatte et nous enjôle pour obtenir notre acceptation de tout
cela. Il fait la même chose avec toutes les familles. La proposition était
ridicule, risible et lamentable face à notre souffrance.
Je le
remercie, et décline la proposition avec des arguments. Nous ne pouvons accepter
sans la présence d’organisations étrangères capable notamment d’identifier les
restes de notre père.
Il ne m’a
pas laissé finir et m’a dit en criant : « je sais que tu travailles
pour le Polisario. Sachez tous que le Maroc est très fort et qu’il peut vous
donner les os des chats ou chiens », ce qui voulait dire à la place des
restes de mon père. C’était très violent pour nous.
Je lui ai
fait remarquer que s’il cherchait la réconciliation, il lui faudrait du courage
comme en Amérique latine, au Ghana et Afrique du sud et pas des mascarades
comme celle-ci, destinée à la propagande. J’ai demandé la levée de l’impunité
des tortionnaires et de leurs responsables.
Après ce
jour là nous n’avons jamais eu de nouvelles. Nous avons vu que les média
marocains ont fait la visite du cimetière avec des sahraouis payés pour l’occasion.
Aucune famille des martyres n’était sur place.
Lors de l’intifada
de 2005, nous étions plus nombreux à transmettre l’information vers l’extérieur,
et notre stratégie de transmission était facilitée par le développement d’internet
et son accessibilité pour nous. La même année, le 7 mai 2005, l’ASVDH a été créée
par des grands militants, et je suis devenu membre actif dès la création. L’association
défend les victimes des violations des droits de l’homme par les autorités
marocaines. J’ai commencé à utiliser les rudiments de français que j’avais de l’école,
à essayer de trouver des cours, à m’entrainer à la grammaire et à la
conjugaison sur internet. Les échanges avec les militants français m’ont appris
l’utilisation quotidienne de cette langue, qui n’est pas celle des communiqués
des droits de l’homme.
Nous
informions principalement sur les violences faites à nos compatriotes. Coups,
incarcérations arbitraires… Au Sahara Occidental nous manifestons tous, femmes,
enfants, anciens, hommes. Les policiers, les militaires marocains frappent tout
le monde. Parfois Il semble qu’ils attaquent en priorité les femmes. C’est
insupportable pour nous. La femme sahraouie est le pilier de notre société.
En
septembre 2007 et à cause de mes activités de résistance, j’ai perdu le travail
que j’occupais depuis 2005 pour la municipalité de El Aaiun, comme responsable
technique des éclairages publics. Cette décision m’a été donnée directement après
ma participation à la 6ème session du Conseil des droits de l’Homme de Genève.
Sachant que
j’entrais dans une période noire pendant laquelle tous les emplois me seraient
inaccessibles, j’ai repris des études universitaires grâce au soutien de ma
famille. J’ai entrepris un cursus d’histoire à l’université de Fez au
Maroc.
Parmi les
faits majeurs de la persécution à but d’intimidation que j’ai subi régulièrement,
un épisode peut les résumer tous, alors que j’étais au chômage et militant
actif. En janvier 2008, sans évènement ni raison logique, les autorités d’occupation
marocaine m’ont arrêté et gardé à vue pendant 24 heures. J’ai été frappé, menacé
et puis finalement relâché. Rien avant, rien après. Il fallait probablement que
je me souvienne que j’étais étroitement surveillé et à la merci de l’arbitraire.
Je me suis
marié en 2008. Ma femme est née à El Aaiun d’une famille sahraouie résistante.
Notre fille
Ismahan est née en 2009. Elle est scolarisée depuis ses 3 ans dans une petite école
privée marocaine. A l’école publique, les enfants sahraouis sont laissés à eux
même, seuls comptent la stimulation et le suivi des enfants marocains. Nos
enfants n’ont pas de droit de parler hassanya, notre langue, ils sont au fond
de la salle et reçoivent des coups pour n’importe quelle raison. Les policiers
marocains entrent dans les écoles, et font peur à nos enfants. Ismahan parle
Hassanya à la maison et dans la famille, et elle entend aussi d’autres langues
quand nous recevons des étrangers. Ma femme parle un peu français.
Avec des
amis, nous avons constaté que le modèle proposé dans le cadre de la défense des
droits de l’Homme tel qu’il était appliqué par les militants sahraouis avait
pour sujet les individus un par un, souvent les violences faites à leurs corps,
et ne permettait pas de donner d’information d’ordre sociétal, environnemental,
politique... ce que nous voulions aussi transmettre et faire connaître à l’extérieur
de notre pays occupé. Les média marocains ne donnent jamais une information exacte
sur ce qui se passe pour nous. Si une information échappe à la censure c’est très
rare, et souvent peu important.
En 2009,
nous avons créée l’Equipe Média, EM, et j’en suis coordinateur. Nous sommes
journalistes de presse écrite, audio, et audiovisuelle, autodidactes et bénévoles.
Nous
essayons de faire sortir des territoires occupés des informations sur la zone
sahraouie ou sur les Sahraouis en croisant nos sources, en cherchant les différents
points de vue. Nous traduisons nos textes, parce que le monde arabe peut nous
lire mais nous voulons être accessibles dans au moins une langue occidentale.
Il est important pour nous que nos informations soient diffusées en français,
parce que c’est avec cette langue que les Marocains mentent au monde sur ce qui
se passe dans la partie occupé de notre pays. Depuis 2009, nous faisons des
photos et nous filmons les événements sur lesquels nous écrivons. Nous améliorons
constamment notre travail, sa rigueur, l’étendue des sujets que nous traitons.
Nous savons
que nous prenons beaucoup de risques, mais nous devons le faire. Nombreux de
nos camarades ont été arrêtés pour cela, emprisonnés et passibles de la cour
martiale. Nous ne céderons pas à la violence et à l’intimidation. Nous
continuons.
En 2010
quelques jours avant la construction du camp de Gdaim Izik, j’ai participé à
Alger, avec 70 activistes sahraouis à un colloque consacré au droit des peuples
à la résistance.
A mon
retour, à l’aéroport de El Aaiun occupée, j’ai été violemment attaqué par un policier marocain. J’ai
choisi de ne pas aller à l'hôpital parce que je craignais d’y être arrêté, j’ai
été soigné dans une ambulance où j’ai reçu plusieurs points de suture à la tête
et la lèvre. J’étais accompagné de l’acteur espagnol Willi Toledo qui a tenté
d'enregistrer les assauts avec son téléphone portable, avant d’être également
ciblé et attaqué. La présence de témoin étranger n’a pas garanti la sécurité de
mes actes, n’a jamais protégé nos actes de militants pacifiques.
La période
du campement de Gdaim Izik en octobre 2010, a été intense et extraordinaire. Je
faisais tout ce que je pouvais pour transmettre les informations sur ce qui se
passait sur place, cet incroyable mouvement de revendication de la liberté,
finalement.
Quand je
suis allé dans ce campement, c’était la première fois de ma vie que je pouvais
sur la terre de mes ancêtres, parler en hassanya librement et dire ce que je
voulais en politique comme en poésie sans craindre pour ma vie. Cela m’a
fortement troublé, et j’y ai puisé de la force il me semble, pour continuer
malgré tout. Et encore maintenant, alors que sont revenues pour moi les grandes
difficultés matérielles. Les suites de Gdaim Izik, ce sont les arrestations,
disparitions, tortures de nombreux de mes amis et collègues. 3 membres de l’Equipe
Média sont toujours en prison. Ils sont dans le groupe de prisonniers
politiques que nous appelons « de Gdaim Izik », et ils ont été
condamnés par un tribunal militaire à des peines de 20 ans et 30 ans de prison.
D’autres militants avec qui nous travaillions ont été condamnés à perpétuité.
En juin
2011, j’ai obtenu une licence en histoire et civilisation à l’université Sidi
Mohamed ben Abdellah de Fez avec une mention bien. Selon l’IER dans les suites
de ce dont j’ai déjà parlé, j’ai droit à un emploi de fonctionnaire. Une de mes
sœurs y a droit aussi, les autres frères et sœurs non. Il n’y a pas de logique.
Mi-septembre
2011, j’ai été invité par la section CNDH (centre national marocain des droits
de l’homme) de El Aaiun pour écouter mes vœux. Je fais partie d’une groupe de 7
sahraouis, 6 à El Aaiun, 1 à Smara. Je demande à travailler dans le secteur du
phosphate, au bureau de la pêche ou à la douane.
Fin décembre,
je suis nommé professeur de l’enseignement secondaire 2ème grade, information
donnée par le chef du personnel du ministre de l’éducation nationale marocaine
de Rabat, je reçois la confirmation par le ministre de l’éducation à
Rabat. Je ne sais pas à quoi à servi que j’exprime des « vœux ». Je
ne suis pas formé à être professeur, pas plus que je n’ai de goût pour l’enseignement
et la pédagogie.
6 autres
victimes des violations marocaines sont aussi nommées "professeurs".
Ils ne sont pas plus formés que moi. Ceux qui n’ont pas la licence sont embauchés
comme fonctionnaires dans le secteur de la justice. Ceux qui ont le bac et
moins sont embauchés comme fonctionnaires au ministère de l’intérieur.
En mars
2012, la déléguée régionale du ministre de l’éducation nationale m’informe de
mon affectation au lycée Errazi dans la banlieue de El Aaiun occupé. J’y
travaille comme professeur de l’histoire géographie jusque la fin de l’année
scolaire. En septembre, le directeur de lycée Errazi m’informe de mon
affectation dans le lycée Ibnou Zouher qui ce trouve loin de la ville. J’y ai
enseigné comme professeur de l’histoire géographie toute l’année scolaire 2012
et j’ai corrigé les examens du bac, pour l’histoire géographie.
Je continue
mes activités militantes, j’accueille des étrangers, je les guide et les
informe, je travaille avec l’Equipe Média à l’écriture de textes et à leur
diffusion dans le temps qui me reste, après les cours et les corrections, les
moments consacrés à la famille.
En
septembre 2013, le groupe des 7 professeurs que nous sommes, nommés par la même
décision de l’IER décide de se mettre en grève tant que le secrétaire général
de la ministre et le chef personnel ne respectent pas leurs engagements pris en
mars 2012 de changer les affectations des membres du groupe, de personnel
enseignant vers des postes administratifs. Après 1 an et demi de démarches dans
l’habituel désordre administratif, que rien d’évolue signifie du mépris ou une
stratégie. Nous arrêtons donc de travailler.
Dans le groupe, sur les 6 de El
Aaiun, deux avaient refusé de travailler en signe de protestation, et cela dès
leur nomination. Les 4 autres dont moi, avons travaillé deux ans. Durant ces 2
années, le directeur de l’académie régionale nous a affirmé que notre dossier,
optionnel (parce que avons eu notre poste suite à un compromis entre l’Etat
et les victimes et non après avoir suivi un processus traité par le président
du gouvernement) était en cours et qu’il lui fallait attendre la décision
finale pour valider le changement de poste.
En signe de
protestation, j’ai refusé de travailler pendant toute l’année 2014. Les autres
membres du groupe aussi.
En 2015,
tous les 7, nous avons été convoqués par le délégué de l’éducation pour la
surveillance du Bac, en juin et juillet. Nous avons tous surveillé les
candidats au bac. La surveillance ne requiert pas de compétences pédagogiques.
En
août 2015, mon salaire a été suspendu sans préavis ni explication. Après avoir
vérifié que le problème ne venait pas de la banque, puisque j’étais le seul du
groupe des 7 dans cette situation, je me suis tourné vers mes responsables hiérarchiques.
En
septembre, après avoir interrogé les instances de l’éducation nationale à différents
niveaux, je reçois l’information du ministre de sa décision de suspendre mon
emploi et mon salaire selon l’article 73 de la fonction publique.
Je fais
une recherche et je trouve ; article 73 – « En cas de faute grave
commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations
professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute,
peut être immédiatement suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire. La
décision prononçant la suspension d'un fonctionnaire doit préciser si l'intéressé
conserve pendant le temps où il est suspendu le bénéfice de son traitement ou déterminer
la quotité de la retenue qu'il subit. Exception est faite des prestations à
caractère familial qu'il continue à percevoir en totalité. En cas de
suspension, le conseil de discipline doit être convoqué dans les plus brefs délais
possibles. La situation du fonctionnaire suspendu doit être définitivement réglée
dans un délai de quatre mois à compter du jour où la décision de suspension a
pris effet. Lorsqu'aucune décision n'est intervenue au bout de quatre mois,
l'intéressé reçoit à nouveau l'intégralité de son traitement. Lorsque l'intéressé
n'a subi aucune sanction ou n'a été l'objet que d'un avertissement, d'un blâme
ou d'une radiation du tableau d'avancement ou si à l'expiration du délai prévu à
l'alinéa précédent il n'a pu être statué sur son cas, il a droit au remboursement
des retenues opérées sur son traitement. Toutefois, lorsque le fonctionnaire a
fait l'objet de poursuites pénales, sa situation n'est définitivement réglée
qu'après que la décision rendue par la juridiction saisie est devenue définitive.
En ce cas, ne sont pas applicables les dispositions de l'alinéa 3 ci-dessus,
relatives au délai prévu pour le rétablissement du versement de l'intégralité
du traitement. »
Je cherche la définition de la "faute grave" et
je trouve à l’article 17 de la même loi
« Toute faute commise par un
fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions,
l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des
peines prévues par le code pénal. »
Ce n’est encore pas la définition de
la faute grave. Je ne sais pas où chercher, et lorsque je demande conseil aux
collègues, à mes responsables et aux syndicats, ils restent perplexes.
Le même
ministre m’informait d’autre part que je devais justifier de mon absence du
travail devant un conseil de discipline dans un délai de quatre mois. Sur le
groupe des 7 je suis le seul à avoir reçu cette information. Les autres
continuent à percevoir leur salaire même sans travailler.
Ma femme bénéficie
de l’allocation dite « promotion nationale » depuis 2010, soit 2000
dirham par mois. En octobre 2015, le Walli Yahdih Boucha’ab a suspendu le
bénéfice de cette allocation sans explication ni justification.
Le 3 novembre
2015, J’ai essayé de rester planté devant le siège de l’académie régionale de l’éducation
pour protester, mais les agents des services de sécurité m’ont forcé sans ménagement
à dégager. C’était un geste dérisoire et symbolique mais il fallait que je
fasse quelque chose face à l’absurde et l’injuste.
Le 15 novembre, l’Académie
a tenu le conseil de discipline, qui a décidé ne pas me poursuivre. La décision
dit donc que je ne fais aucune faute.
En décembre 2015, quatre mois après la
suspension de mon salaire, je n'avais toujours pas reçu de nouvelles d'une
quelconque décision à mon sujet. Contrairement à ce que stipule l'article 73
invoqué pour la décision de la suspension de mon salaire, je ne touche aucun
traitement, ni n'ai reçu de remboursement des sommes non payées.
Les conséquences
de l’absence de revenu de notre foyer, la grande précarité dans laquelle nous
sommes, ressemble à du chantage contre ma femme et de la pression contre moi,
pour les activités militantes que je mène en parallèle de mes activités
professionnelles d'information sur la situation dans notre territoire occupé
militairement… J’en ai la confirmation par la visite d'un « cousin »,
envoyé par le Makhzen. Il souhaitait arranger une rencontre entre les services
secrets royaux et moi. Selon lui, je pouvais oublier mon poste et l'allocation
de ma femme tant que je persistais à mener des activités avec l’ASVDH et l’Équipe
Média. Voila enfin qui était clair !
J’ai continué néanmoins les démarches
légales et logiques inhérentes à une société qui dit fonctionner démocratiquement
et non en magouille et corruption.
Le 12
janvier 2016 je rencontre à Rabat M. Abdel Razak El Idrissi, secrétaire général
de l’UMT, l’union marocaine des travailleurs (la voie démocratique), un
syndicat indépendant.
M. Abdel Razak El Idrissi et moi rencontrons le directeur
des personnels au ministère de l’éducation nationale. Il confirme que le
conseil de discipline n'a pas retenu les accusations contre moi. Il s'engage à
intervenir pour régler le problème du non versement de mon salaire. Il ne donne
pas de délai néanmoins.
Le 3
avril, je fais une nouvelle demande de rencontre avec le secrétaire général du
ministre de l’éducation, refusée par le directeur de son cabinet qui me renvoie
vers les responsables de la sécurité et les services. Je dois leur demander que
mon salaire soit rétabli et remboursé.
Le 5 mai, des avocats (dont Mohamed
Fadel Lili) m'informe que faute de documents écrits attestant de ma situation
et des décisions des responsables de l'éducation nationale, je ne peux saisir
le tribunal administratif.
Le 10 mai,
je reçois une décision d’expulsion du travail. Je saisis le tribunal
administratif dès que je reçois la notification écrite. En français il y a l’expression
« guerre d’usure », c’est ce qu’il se passe pour moi.
‘Un avocat
m’a représenté devant la cour administrative le 27 septembre 2016. J’attends le
résultat. Je sais seulement qu’il y a une autre audience pour mon affaire le 8
novembre 2016.
C’est un
moyen de pression très efficace de la part des autorités de nous priver de
toutes ressources économiques et de nous laisser livrés à la solidarité de la
famille et des amis. Il faut trouver à manger bien sur, payer le loyer, l’eau
et l’électricité, mais il faut aussi payer l’école de notre fille. Il faut
aussi trouver de quoi financer les communications téléphoniques et internet de
mes activités militantes que je ne veux pas arrêter.
C’est la
bataille du quotidien et du rétablissement de notre bon droit qui prime
évidement sur la bataille pour notre peuple… mais néanmoins nous existons et
nous résistons.
Le 29 septembre 2016. Mohamed Mayara et les Apso.